Sur les chemins noirs

Sylvain Tesson est un écrivain voyageur. Géographe de formation, il effectue en 1991 sa première expédition en Islande, suivie d’un tour du monde à vélo. Il traverse les steppes d’Asie centrale à cheval et publie alors L’Immensité du monde. En 2004, il reprend l’itinéraire des évadés du goulag et publie « L’Axe du Loup ». « Une vie à coucher dehors », « Dans les forêts de Sibérie » (Prix Médicis essai 2011) et « s’abandonner à vivre » lui valent une reconnaissance grandissante. En 2019, Sylvain Tesson reçoit le Prix Renaudot pour « La Panthère des neiges. »
Dans son journal de marche, intitulé « Sur les chemins noirs » on pourrait penser que le narrateur a voulu fuir, s’échapper du double traumatisme qu’il a subi. Cependant, puisque nous savons qu’il s’agit d’un récit autobiographique, nous ne pouvons aussi penser que Sylvain Tesson a voulu renouer avec ce qui faisait son essence tout en lui donnant une nouvelle dimension.
Dans cette marche restauratrice, le narrateur reçoit la vérité de l’existence, le changement s’opère en partie seulement par son existence éphémère dans sa transition vers une forme de renaissance.
Cette dimension régénératrice passe par la restauration physique comme métaphore du réaménagement du territoire. Une démarche qui lui permet de finir de soigner son corps en passant par deux stratégies, celle de se restaurer par la solitude volontaire, mais aussi en déplaçant son corps qu’il fait déambuler sur les chemins noirs en décidant de « changer d’échelle ». Sa résurrection se fera sur les «chemins oubliés», les fameux chemins noirs représentés par de fins liserés dessinés sur les cartes IGN.
Sylvain Tesson est l’écrivain du mouvement. Il nous permet d’assister à une pâmoison devant la nature (parfois hostile). En effet, après une verticalité brutale et célère, le narrateur nous mène sur une diagonale à travers la France depuis le Sud Est jusqu’au Nord-Ouest.
Ainsi la notion d’espace s’allonge et s’étire comme un enfant à travers ses évolutions motrices, Sylvain Tesson doit renaitre, et seul cette fois… Pour renaitre de l’intérieur, il doit convoquer ses dieux à lui. Le voyage littéraire est splendide d’érudition et de clins d’yeux à ses amis écrivains.
Les thèmes ne sont pas nouveaux lorsqu’on a lu « Dans les forêts de Sibérie », récit autobiographique également où la cabane est celle qui joue le rôle de réparation puisque l’auteur bénéficie d’un véritable renouveau psychique à l’intérieur de celle-ci.
Toutefois, dans ce récit, il ne s’agirait pas, comme on pourrait le penser, d’un voyage initiatique pour oublier et s’échapper de son malheur, mais bien de se reconnecter à ce qui a du sens pour lui, la géographie, la nature, la rencontre avec le français des régions.
Il met par ailleurs en contraste la disparité des régions pour mieux divulguer que l’homme et la machine ne font pas bon ménage, et si le narrateur a la fougue du déplacement, on accepte volontiers qu’il nous recentre sur la ferveur littéraire comme guide spirituel. Il nous livre donc l’expérience de la solitude volontaire dans la littérature, mais aussi de l’individu solitaire en relation avec son temps, le temps des machines du « numérisme » comme il l’a évoqué lors d’une entrevue avec le Lacroix (https://www.la-croix.com/Culture/Livres-et-idees/Sylvain-Tesson-A-laffut-beaute-monde-2019-12-15-1201066529)
Le caractère apaisant et réflexif qui caractérise cette marche ne va pas sans me faire penser à Jean-Jacques Rousseau dans ses « Rêveries du promeneur solitaire » :
« Comment vivre heureux et tranquille dans cet état affreux. J’y suis pourtant encore et plus enfoncé que jamais, et j’y ai retrouvé le calme et la paix, et j’y vis heureux et tranquille » [1782]
Et parmi les références littéraires, j’y ai pu piocher cette prochaine lecture :

La Méditerranée
« Dans ce livre, les bateaux naviguent ; les vagues répètent leur chanson ; les vignerons descendent des collines des Cinque Terre, sur la Riviera génoise ; les olives sont gaulées en Provence et en Grèce ; les pêcheurs tirent leurs filets sur la lagune immobile de Venise ou dans les canaux de Djerba ; des charpentiers construisent des barques pareilles aujourd’hui à celles d’hier…Et cette fois encore, nous sommes hors du temps. Plus qu’aucun autre univers des hommes, la Méditerranée ne cesse de se raconter elle-même, de se revivre elle-même. Par plaisir sans doute, non moins par nécessité. Avoir été, c’est une condition pour être. »
Fernand Braudel.

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